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HAÏTI

Les mains dans la misère

Elisabeth Leblanc, en collaboration avec Sophie Payeur

J'avoue avoir trouvé extrêmement difficile de m'adapter à cette situation, plus grande que moi, plus grande que nous.

J'ai été touchée droit au cœur par le séisme en Haïti. Le vendredi suivant la catastrophe, j'ai entendu le Dr Vincent Echavé dire, à la radio, que l'UdeS formait une équipe médicale pour prêter main-forte là-bas. Résidente de troisième année en orthopédie, je me suis sentie interpellée. Trois jours plus tard, le 18 janvier, j'étais dans l'avion en compagnie des huit autres médecins et infirmières de la mission sherbrookoise. Destination : l'hôpital Albert-Schweitzer à Deschapelles, petite ville située au nord de Port-au-Prince.

L'hôpital Albert-Schweitzer.
L'hôpital Albert-Schweitzer.

Dès le lendemain matin, nous nous sommes mis à la tâche. L'hôpital débordait. En Haïti, les malades sont lavés et nourris par leur famille. Aussi, deux ou trois parents dorment quotidiennement sous le lit des patients, dont le nombre a doublé à cause du séisme. La première semaine, nous opérions de 7 h à 3 h le lendemain matin. Comme nous devions subsister pendant deux autres semaines encore, nous avons diminué le rythme de travail, passant à quatorze heures par jour, puis à douze la dernière semaine. Nous avons opéré plus d'une centaine de personnes pendant notre séjour.

De nombreux patients attendaient depuis plusieurs semaines. Certains avaient des fractures ouvertes. Chez nous, ces fractures sont considérées comme des urgences chirurgicales : les interventions s'effectuent dans les 24 heures suivant la fracture. Malgré l'attente et la douleur, les patients étaient heureux et reconnaissants lorsque leur tour était venu. La patience de ces gens est incroyable.

Elisabeth Leblanc est résidente en orthopédie.
Elisabeth Leblanc est résidente en orthopédie.

La quantité et la particularité des cas m'ont beaucoup appris. J'ai le souvenir d'une jeune femme qui s'est présentée avec une grossesse ectopique rompue. Elle avait souffert d'une grave hémorragie. Une fois sur la table d'opération, elle a fait un arrêt cardio-respiratoire. Alors que nous tentions de la réanimer, nous avons réalisé que l'équipe médicale haïtienne s'était retirée. Nous nous sommes d'abord questionnés, puis avons compris : chez nous, lorsque nous réanimons une personne, celle-ci bénéficie ensuite de soins intensifs. Nous avons du sang à volonté pour la transfuser et pouvons compter sur des respirateurs pour la maintenir en vie. Mais cette dame n'avait pas cette chance. Elle ne pourrait pas survivre, même si on la réanimait. Cet aveu d'impuissance fut un dur constat pour nous. Après trente minutes de manœuvres, nous avons décidé de la laisser aller. Sans blâmer l'équipe médicale haïtienne, j'avoue avoir trouvé extrêmement difficile de m'adapter à cette situation, plus grande que moi, plus grande que nous.

La veille de notre départ, nous avons organisé une fête haïtienne pour remercier les membres du personnel de l'hôpital de nous avoir si bien accueillis. Ce fut un moment extraordinaire. Nous avons pu les serrer dans nos bras et, qui sait, leur donner un peu d'espoir. Notre voyage s'achevait.

Un immense camp de déplacés.
Un immense camp de déplacés.

Le lendemain, nous avons opéré nos derniers patients. Je n'oublierai jamais ce petit garçon de dix ans que nous appelions notre patient chéri. Nous avons dû l'opérer presque tous les jours de notre séjour. Ses deux bras étaient atteints de sévères infections. Nous avions peur de le perdre ou de devoir l'amputer. À notre grande joie, nous avons réussi à épargner sa vie et ses deux bras. À la fin de notre séjour, il commençait à reprendre le dessus. Partir a été déchirant : nous ne savions pas ce qui allait lui arriver. Habituellement, quand un patient obtient son congé, c'est qu'il va bien. Mais cette fois, c'était nous qui partions. Nous savions qu'il n'était pas au bout de ses peines. J'espère qu'il va bien, qu'il va mieux. Et je me demande ce qu'il en est des patients que nous avons rencontrés et qui, dans le séisme, ont perdu famille, travail, maison et compte en banque.

Je n'avais jamais songé auparavant à faire de l'aide humanitaire. Mais cette expérience a changé des choses dans ma vie personnelle et professionnelle. Je sais maintenant que je repartirai à un moment ou à un autre. J'aimerais pourvoir retourner, un jour, à l'hôpital Albert-Schweitzer.

Depuis cette expérience, la Faculté de médecine et des sciences de la santé et le Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke ont déployé deux autres délégations médicales en Haïti.